Quand on me voit, on ne peut se dire qu'une chose : oh, mais qu'il est beau et intelligent, je parie que, euh, on se dit plutôt que je ne suis pas le genre de mec qui aime à défiler comme un idiot sur un podium, le torse bombé, à plastroner devant des adolescentes. On dit de moi que je ne prends pas au sérieux... Et c'est exactement la raison qui m'a poussé à m'inscrire. Comprenez moi bien, être surveillant est un métier franchement ennuyeux, alors autant profiter des rares moments d'amusement qui nous étaient offerts par mÔssieur le Directeur. Alors oui, c'était un simple défilé qui rentrait dans le cadre du divertissement scolaire, un projet plutôt sympathique, mais un peu trop pompeux. Heureusement, ce bon vieux West Fields est là pour y ajouter sa petite touche perso.

C'était bientôt mon tour. Habitué des auditions musicales et d'un naturel léger, j'étais loin de l'état de stress que je pouvais sentir chez d'autres personnes. Le cul posé sur une table, je faisais de la percussion avec mes mains sur mes cuisses, en hochant la tête, tout seul dans mon coin, comme un idiot. J'avais troqué mes fringues d'adolescent attardé pour des vêtements qui correspondaient un peu plus au thème de la soirée. Une chemise blanche, sobre, un peu froissée, portée de manière décontractée (à savoir déboutonnée en haut, manches retroussées et libre en bas), surmontée d'un borsalino noir rayé d'or, une cravate fine noire desserrée, un pantalon de costard noir au bout duquel pointaient deux chaussures vernies et un chapeau noir pour couvrir ma tignasse, voilà à peu près ce dont j'étais capable lorsqu'il me venait l'envie de tomber dans le monde des adultes. Je me retenais parfois de rire en voyant les visages palots de certains participants, jusqu'à ce qu'on vienne me chercher pour me dire que j'étais le prochain. Je bondis de ma table et me vint me planter devant le rideau, tendant l'oreille afin de capter la fin du discour du présentateur... Quelque chose comme "Vous le connaissez tous", "Je vous demande de vous lever pour votre surveillant : West Fields !". Bref, mon thème musical retentit et je me lançai sur scène.

Spoiler:

Il y avait somme toute une jolie petite foule d'élèves. Certains que je reconnaissais, d'autre pas, mais qu'importe. Je marchais droit devant, en exagérant tous mes gestes, tout sourire, en essayant de motiver le public à applaudir, un peu à la manière des catcheurs lorsqu'ils se dirigent vers le ring. Je devais l'avouer, c'était plaisant et plutôt drôle. Arrivé au bout de la scène, je levai les mains pour saluer l'audience et m'amusa même à faire quelques chorégraphies improvisées de quelques secondes, comprenant notamment du boogie et la danse du robot. Atterré par ma propre bêtise, je secouai la tête avant de rejoindre le présentateur, un peu essoufflé. La musique commença a disparaître, c'était le moment pour moi de répondre à une petite série de questions. La première était plutôt bateau : qu'est ce qui m'inspirait à faire ce métier. J'échappai un soupir amusé et m'emparai du micro. Il était évident que j'allais rester fidèle à moi même et balancer un tas d'inepties au long de mes réponses. Après tout, les élèves connaissent mon tempérament un peu (beaucoup) immature et mes blagues ne les vexeraient probablement pas. Joueur, j'exagérai mes intonations et ma gestuelle, comme si je faisais un sketch, dans un japonais un peu bancal.

«Ce qui m'a inspiré à devenir surveillant ? C'est vraiment pas évident, il y a tellement de choses... Voyons voir : L'ennui ? Le désespoir ? Euh, un manque évident d'ambition ? Je sais pas, honnêtement, c'est pas le genre de métier que l'on fait par vocation. Je suis venu des Etats Unis pour trouver une place dans un conservatoire qui voulait bien de moi, M. le directeur m'a proposé un emploi, et me voila. Mais c'est pas un métier totalement désagréable, au contraire.»

Le présentateur loua ma franchise. En même temps, il était rare que les gens qui se présente à ce genre de truc se tire une balle dans le pied en usant d'autant d'autodérision. Mais je m'en foutais, je restai moi même, franc et drôle, nonchalant, un peu roublard dans l'attitude. La seconde question portait sur mes passions. Un champ large puisque j'étais plutôt curieux et prompt à me cultiver sur tout et n'importe quoi.

«Eh bien, comme tous les américains, j'aime le sport. Je suis incollable en ce qui concerne le basket, j'aime aussi le hockey, le football américain et le baseball. Go Red Sox. Ah, par contre, attention ! C'est important de noter que j'aime le sport depuis mon canapé, parce que sinon j'aime pas transpirer pour rien. Sinon il y a bien évidemment la musique. Certains d'entre vous le savent déjà, et j'en profite pour saluer le Club de Musique, que je co-anime parfois avec Hannah, mais je suis un musicien plutôt talentueux. J'envisage même de faire de ma passion mon métier. J'ai aussi eu un groupe de musique, quand j'habitais encore à Boston, qui s'appelaient les Bloobytes Giraffes, on a quelques sons en ligne sur Youtube, je vous invite à aller voir ça. Et pour le reste, quand je ne regarde pas de sport ou que je ne compose pas, je dors. Beaucoup. Trop peut être. Ou pas assez, ça dépend du point de vue.»

J'étais comme un poisson dans l'eau sur scène. Faut dire que les petites représentations de mon ancien groupe aidaient beaucoup à outrepasser la pression, mais être sous la lumière des projecteurs ne me dérangeait pas le moins du monde. Ainsi venait une question sur les enfants. Si je les aimais ou pas. Allons bon.

«Je. Les. Adore... Quand ils sont loin. Nan, je plaisante. Ça va, j'ai beaucoup d'affinités avec les ados en règle générale, faut dire qu'avec la musique et la sieste, ça nous fait déjà deux points en commun. Et malgré les responsabilités que j'ai envers eux, j'aime me considérer plus comme une sorte de grand frère. Je suis à l'écoute et disponible, prêt à les épauler en cas de problème.»

L'interview touchait à sa fin. Il était temps pour moi de convaincre les foules de voter massivement pour moi. J'étais un piètre vendeur en temps normal, débraillé, maladroit, mais j'avais un avantage sur ce petit évènement : j'étais quasiment le seul surveillant à me présenter. On se demande bien à quoi ça sert, hein. Je vins me planter à nouveau au bout de l'estrade , faisant face au public avec un grand sourire.

«Si je suis élu, tous vos rêves les plus fous se réaliseront. Non, loin de moi l'idée de me la jouer Napoleon Dynamite, pour ceux qui auraient reconnu la référence. Ceux qui ne voteront pas pour moi auront 4 heures de colle. Les autres auront droit à mes remerciements et un petit concert privé en Amphi. Choisissez bien votre camp ! C'est tout pour moi, je rends l'antenne.»

Habilement, je balançai le micro au présentateur, qui le rattrapa par miracle, avant que mon thème musical ne retentisse à nouveau dans la salle des festivités. Et encore une fois, je ne pouvais résister à l'envie de faire le con sur scène et à danser comme un robot désarticulé, entre autre, avant de disparaître en backstage, derrière les rideaux. Tout ça m'avait donné soif. Comme si de rien était, je me dirigeai vers une fontaine alors qu'un collègue franchissait les rideaux. Je m'essuyais les lèvres d'un revers de la main avant de réaliser que j'étais passé et que le public avait plutôt bien réagi à mon petit spectacle. Bien décidé à voir le reste des présentations, je décidais d'aller mettre l'ambiance dans le public et quitta les loges, plutôt satisfait.