Ah, les mondes virtuels. Ils étaient peut-être préférables au monde réel, parfois. Là, sourire n’était pas obligé pour faire bonne figure. Là, on trouvait toujours plus nul que soi. Et là, on pouvait avoir une villa, une piscine, une famille et un physique de rêve, il y avait toujours des gens pour vous croire. Mais là, Maximiliam s’en fichait. Sa maison ? Aucun intérêt. Sa famille, ses amis ? Ils n’existaient plus. Là, il n’avait qu’un but, un seul. Survivre. Ils étaient plusieurs dans cette situation, mais c’était chacun pour soi. La mort pouvait l’attendre à chaque tournant, et il sentait monter en lui un étrange mélange de peur et d’excitation. Adrénaline, quand tu nous tiens. Un sourire au coin de lèvres, il vérifia son sac, serra son bandeau autour de son crâne et se mit en route.

Il trottinait parmi les arbres depuis 10 minutes maintenant, mais n’avait pas croisé âme qui vive. Le lieu était désert. C’était bien trop calme pour être normal. Il se retourna brusquement, persuadé d’avoir entendu un bruit, mais se rendit vite compte que ça n’était que le fruit de son imagination. Légèrement inquiet, il se remit en route, consultant sa carte afin de trouver la ville la plus proche. La ville était dangereuse, mais c’était là qu’il aurait le plus de chance de pouvoir trouver quelque chose qui l’aiderait à survivre.
Dès qu’il vit les premiers murs se dresser devant lui, il s’accroupit, soucieux de faire le moins de bruit possible. Rasant les murs, il regardait attentivement les alentours, afin de repérer n’importe quoi qui puisse lui être utile. N’importe quoi, vraiment. Après plusieurs minutes de recherche, il trouva une petite hache. Ridicule petite hache, mais tout était bon dans cet environnement. Il la serra entre ses doigts, et repris sa progression, toujours au ras du sol. Il avait de la chance pour l’instant, aucune mauvaise rencontre. Mais ça ne pouvait pas durer. Il ne lui fallut que quelque pas pour se retrouver nez à nez avec l’horreur. Des lambeaux de chair livides et sanglants, un râle à dresser les cheveux sur la tête, des dents prêtes à mordre et déchirer tout ce qui se mettraient à leur portée. Maximiliam frissonna et sortit vivement la petite hache, prêt à fendre froidement le crâne de la créature en deux. Et l’image se figea.

- Non, non, non, non, tu me fais quoi là ?!

O rage, O désespoir, O lag ennemi. Toujours à débarquer lorsqu’il ne le fallait absolument pas. Maximiliam donna un petit coup sec sur le bord de l’écran, sachant déjà que cela serait inutile, qu’il était déjà trop tard. L’image reprit vie, puis l’écran titre. Il enfoui sa tête dans ses mains, retenant un long cri de désespoir. Si il avait été tout seul, il aurait laissé éclater toute sa frustration, mais là, il était entouré d’une dizaine d’autres élèves, dans la salle commune du pensionnat, et ça n’était certainement ni le moment, ni l’endroit pour se faire remarquer. Il releva la tête, furieux. Qui était l’abruti, le monstre inhumain, le bientôt mort qui osait bouffer toute la connexion au point de lui faire quitter sa partie ? La blonde, là ? Nan, elle n’était bonne qu’à aller sur Facebook. Les trois gars qui se marraient sans interruption depuis 10 minutes ? Non plus, ils regardaient des vidéos stupides. Celui-là, ce brun, qui tenait sur ses genoux une des dernières merveilles du marché et qui contemplait le reste de la salle, un sourire satisfait en coin ? Oui, très certainement. En temps normal, il n’aurait rien dit, mais lorsque cela touchait à l’informatique ou aux jeux vidéo, il se découvrait un côté particulièrement agressif.

- Toi ! EH. Ça te fait rire ? J’ai perdu à cause de toi. T’as intérêt à avoir une bonne raison pour prendre toute la bande passante, ou je te fais manger les pièces de ton ordi une par une.

Maximiliam attendait, toisant le garçon d’un œil mauvais et sévère. Pour une raison inconnue, il avait l’impression d’incarner une autorité suprême en ce moment, d’être celui qui représente les droits de l’Homme. D’une simple pichenette, il ferait tomber le monde autour de lui. Drôle de sensation. Mais il retomba vite les pieds sur terre. Il avait un problème à régler.

- Je... Je télécharge Teamspeak et "Lost in dungeon III", et quelques autres trucs... Ça prend un peu sur la bande je sais, désolé !

Très bien. Rien à faire. Ça n’allait pas lui rendre sa partie. Et Lost in Dungeon, qu’est-ce que c’était que ce truc ? Il n’en avait jamais entendu parler. Est-ce que ce gars se fichait de lui ? Ou cherchait-il simplement à se justifier ? Peu importe. Il sentait encore le goût amer de la frustration dans sa gorge, et tout semblait indiquer que ça n’allait pas partir de sitôt. Il resta de marbre, ruminant sa colère, pendant que l’autre se redressait. Il n’allait pas se laisser faire, c’était certain.

- Vraiment désolé, les téléchargements sont bientôt finis. Je m'appelle João, grand fan de jeu en ligne. J'ai cru comprendre que toi aussi. Enchanté !

Cette main tendue vers lui, était-ce une trêve ? Possible. Une tentative de diplomatie, future alliance peut-être. Il haussa un sourcil, légèrement pris au dépourvu, et fixa le mur à sa droite, réfléchissant. C’était peut-être l’occasion d’avoir quelqu’un pour jouer avec lui, et une personne en moins critiquant ses heures passées sur l’ordinateur. Il ne voit que trop de personnes le traitant de no-life (ce qu’il ne niait absolument pas, mais bon, c’était quand même désagréable), se désespérant de le voir se coucher à l’aube pour trop avoir joué, avoir repoussé du doigt des devoirs importants afin d’avancer une partie, et autres actions de ce genre. Il ne pouvait pas nier que ça avait un fort aspect négatif sur sa vie sociale et scolaire, mais il était comme ça. Si sa passion avaient été les maths, personne ne lui prendrait la tête avec, on le laisserait s’y adonner autant qu’il le voulait. Mais la vie est pleine d’injustice. Toujours fixant le mur, il leva la main et serra du bout des doigts celle de João.

- Maximiliam. Enchanté, si je puis dire.

Un grand nombre aurait trouvé sa réaction face à la situation stupide et enfantine. Mais Maximiliam était stupide et enfantin dans beaucoup de choses qu’il faisait. Il se rendit compte qu’il fixait toujours le mur. Il devait avoir l’air dérangé ainsi, mais il préférait cela à devoir regarder le jeune homme dans les yeux. Non pas qu’il ait quelque chose contre lui, hein. Il n’aimait pas ça, c’est tout. Mais comme on ne fait pas toujours ce que l’on veut dans la vie, il détourna le regard pour rencontrer celui de João. Il espérait quand même que le reproche ne se lisait pas trop sur son visage, c’aurait été dommage.