J'aimais bien cette petite nouvelle. Elle n'avait pas l'air de ceux qui allaient tester ma patience, entreprise futile étant donné je ne me mettais jamais en colère. J'étais de bonne humeur, si bien que, chose ô combien exceptionnelle, je décidais de porter ses bagages jusqu'à sa chambre. Quoi qu'il en soit, Keiko était tout sourire, ce qui me paraissait inimaginable pour un jour de rentrée, un moment de douleur intense et de profonde déprime, même pour le surveillant que je suis. Pas vraiment curieuse, ou alors éreintée par son voyage, Keiko préféra aller s'installer directement dans sa chambre, qui était donc au premier étage. Nous étions donc dans les escaliers lorsqu'elle me demanda si j'étais américain, à croire que mon japonais était toujours un peu maladroit... 'Faut dire qu'en tant que partisan du moindre effort, je ne m'échinais pas à m'appliquer sur ma prononciation. J'acquiesçais, plutôt fier de mes racines, comme tout bon américain qui se respecte.

«Ouaip, un vrai de vrai. Je suis né et j'ai grandi à Boston. Et toi ?»

Bien qu'elle ait avoué venir des USA, Keiko était plutôt typée asiatique, ce qui me laissait entendre qu'un de ses parents était japonais. Nous arrivâmes rapidement devant la porte de la chambre 1o2, que j'ouvris d'un tour de clef, après avoir déposé les bagages au sol. C'était une chambre simple, pour l'instant, qui n'attendait que la venue de quelques élèves pour se voir customisée. Certains préféraient la laisser telle qu'elle, d'autres recouvraient les murs de posters, comme moi. Ma chambre, en bas, était couverte d'images de mes sportifs préférés, comme Larry Bird, Paul Pierce, Tom Brady, Dirk Nowitzki, j'en passe et des meilleurs. Dans le cas de Keiko, c'était différent, parce qu'ils seraient jusqu'à 6 dans cette chambre et il leur fallait réfréner leur folie décoratrice. D'un geste de la main, j'encourageais Keiko à rentrer et à prendre possession des lieux.

«Voilà, la chambre 1o2. Comme t'es la première, tu peux choisir ton coin de la chambre et ton lit. Je sais qu'une autre élève va pas tarder à arriver, Ashley... Taylor il me semble, ou quelque chose comme ça et vu le nom, ça ne m'étonnerait pas qu'elle soit elle aussi américaine. Great, right ?»

Je lui envoyais à nouveau un petit sourire avant de m'asseoir tranquillement sur un matelas en jouant à nouveau avec mon trousseau de clefs.

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Boston. Elle aimait bien Boston. Avec ses ferry both. C’était marrant ! Un gros bateau qui faisait office de métro ou de tramway.

- Bha moi, je suis de Washington, mais mon père était Japonais.

Il portait sa valise tout en lui indiquant le chemin à prendre, c’était très gentleman de sa part. À l’étage supérieur, elle remarqua que le plancher était plus brillant, comme s’il avait été ciré. Elle se dit qu’il devait y avoir moins de circulations à cet étage. Sous la lumière d’un néon, elle entrevit son reflet. Elle avait opté pour un jean et un débardeur assez simple. Soudain, un doute s’installa en elle.

- Em… West… Je ne crois pas avoir entendu parler d’uniforme dans cet établissement… C’est le cas ?

Habituellement, les établissements prestigieux avaient toujours des uniformes aux États-Unis. Au Japon, elle savait bien que ce n’était pas la même chose. Même les écoles les plus insignifiantes exigeaient un code vestimentaire très stricte. Ça ne lui causait pas réellement un problème. Elle aimait bien les jupes… Elle n’était pas très grande, mais elle avait de belles jambes. En plus, elle aimait bien modifier ses uniformes pour les personnaliser un peu. Elle espérait qu’ils allaient être assez laxistes sur ce point.

La chambre 102 paraissait complètement dénuée de toute vie. Elle devait être la première arrivée. Tant mieux ! Après tout, je peux choisir la meilleure place du coup ! Elle s’avança vers le lit près de la fenêtre. Elle adorait les endroits lumineux. Elle s’assit sur son nouveau lit en face de celui où West s’était assis.

- Plus qu’à y mettre un peu de couleur et ce serra parfait !

À dire vrai, elle n’avait jamais dormi dans un lit qui paraissait aussi peu confortable, mais elle se forcera tout de même à sourire. Après tout, ce n’était pas la fin du monde. Ce qu’elle n’arrivait pas à comprendre par contre, c’était les raisons que sa tante avait eues de l’envoyé ici. Non pas qu’elle se plaigne réellement, mais après tout, elle n’avait jamais fréquenté d’école biblique de sa vie. Elle visait les universités prestigieuses, il lui fallait donc des bases solides.

- Tu connais des endroits sympa pour manger une bouchée ? Dit-elle en regardant sa montre. Je commence à avoir un peu faim.

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Ainsi Keiko venait de la capitale. Je me souviens y être allé quelques jours avec l'école à l'occasion de la semaine de "je sais plus quoi" - c'est toujours chiant ce qu'on fait avec l'école anyway - mais la ville ne m'avait pas laissé un bon souvenir. Plutôt grise, bien trop solennelle, à mes yeux rien ne valait la sérénité de Boston la verte. En plus, cette fois ci, la ville était paralysée par des chutes de neiges record, autant dire que non, Washington ne me faisait pas vraiment rêver. Au moins cela confirmait ma théorie, son père était japonais et sa mère américaine, ce qui était susceptible de pouvoir expliquer la raison de sa présence au pensionnat. Ou pas. Mais, quelque part, j'avais le sentiment que ce sujet de conversation ne devait pas venir de moi, je préférai donc me réserver tout commentaire touchant de près ou de loin à ses origines et à son passé. Ce genre de recul, je l'avais acquis au bout de quelques jours au pensionnat, à force de jouer les curieux on finit souvent par entendre des histoires morbides et abracadabrantesques, bref, des biographies dont je me passerai bien volontier.

Bref, j'étais assis sur le matelas lorsqu'elle vint s'installer sur le lit qui jouxtait la fenêtre. Keiko risquait probablement de regretter cette décision dès que l'astre solaire se déciderait à darder sur elle ses premiers rayons demain matin à travers les petites ouvertures des volets roulants. C'était, pour ma part, un des pires réveils envisageables. Déjà contraint de m'extirper de mon lit dès potron-minet, j'avais pris le parti de ne pas me laisser, en plus, emmerder par le soleil. Ma chambre, en bas, était toujours plongée dans l'obscurité, la faute à d'épais rideaux d'un gout atroce afin de ne pas me les faire taxer par les gens moins malins que le Fieldinator. Perdu dans mes pensées et un peu fatigué rien qu'à la pensée de mon lit à moi, mes yeux se posèrent sur Keiko. Longuement. Peut être trop. Elle était mignonne, pour une élève. Soudain, une force inconnue m'extirpa de mes rêveries et j'en détournai le regard, en espérant qu'elle n'avait pas remarqué mon étrange moment de flottement. Non, je ne nourrissais pas de fantasmes ou d'idées mal placées envers les élèves, c'était la règle d'or pour faire ce boulot. Les questions de Keiko me revinrent en tête tel un écho lointain. C'est de manière toute aussi lointaine que je répondis.

«Quoi ? Ah, ouais, les uniformes. Oui, faudra que tu passes à l'intendance, ils te fileront tout ce dont tu auras besoin. On est pas très regardant tant qu'il y a au moins la base de la tenue... Enfin, moi en tout cas. Les profs ont tendance à être un peu plus stricts sur ce point là.»

Puis, elle se posa en face de moi et esquissa un sourire qui se voulait enjoué, tout en lâchant un commentaire sur la déco. A nouveau, je répondis à son sourire par un des miens avant de rejouer à faire tournoyer les clefs sur mon index. Alors que j'allais ouvrir la bouche pour lui demander si elle voulait que je la laisse tranquille pour qu'elle puisse faire la connaissance d'autres pensionnaires, la jeunotte regarda sa montre et me coupa l'herbe sous le pied. Les impératifs stomacaux s'avéraient aussi être l'une de mes priorités. Les sourcils froncés, je réfléchissais à des endroits qui ne dépayseraient pas un citoyen américain.

«Hum, en ville il y a des restaurants à tous les cinq mètres. Y a beaucoup de fast-food, des bars à suchis même si, perso, je trouve ça infect, et y a aussi plusieurs Starbucks, à ma grande surprise, si l'envie d'un frappuccino au mocha se fait sentir. C'est aussi bon qu'à la maison. »

Je marquais une petite pause, en réfléchissant quelques secondes. Si elle venait d'arriver à Tokyo pour la première fois, elle ne connaissait peut être pas la ville. De plus, ne serait ce pas préférable de lui conseiller de prendre un plateau et de errer dans le réfectoire ? De cette manière, la nouvelle venue pourrait d'ors et déjà tisser des liens amicaux avec quelques élèves, nouveaux ou pas.

«Sinon, il y aussi le ref'... C'est pas terrible-terrible, mais ils ne te laisseront jamais mourir de faim là bas. Et en plus c'est compris dans ton hébergement... Ça doit être ouvert à cette heure ci. A moins que tu ne préfères finir de t'installer.»