Je crois être de bonne humeur. Je n'en suis pas tout à fait sûr, mais en y repensant, comparant cet instant à d'autres, je pense pouvoir affirmer que le nombre de choses qui vont bien à l'instant t dépasse le nombre de choses qui vont mal. Donc, mathématiquement parlant, je vais bien. Allongé dans l'herbe trempée de rosée, j'attends que le soleil soit bien levé pour faire de même. C'est fou ce que l'aube peut prendre son temps quand on y assiste. En même temps, rien ne presse le soleil. Sun is a God. Torse nu, exempt de toute pudeur puisque personne ne vient ici depuis longtemps, je finis par me redresser. A ma gauche, Tomo-chan m'attend. Allongée à côté de moi, elle aussi assiste au spectacle. A ma droite, Niké. Resplendissant dans la lumière du matin, son étui noir de jais m'éblouit un instant. Voilà un moment déjà que mon Maître Archet ne m'a donné aucun cours. Peut-être est-ce dû au fait que je n'ai pas eu beaucoup de temps pour moi... Ou alors qu'il me considère prêt. Je ne sais pas. J'ai encore du mal à aligner plusieurs notes se trouvant sur différents tons harmoniques.
Je me lève enfin. Une fois sec et rhabillé, je pars sur Tomo-chan, Niké Solidement accroché sur le dos. L'avantage de la haute montagne, c'est que le retour se fait sur une descente quasiment continue. Le Japon et sa géographie accidentée dans les terres intérieures se prête d'ailleurs très bien à ce jeu. En arrivant vers Tokyo, le terrain est réarrangé, façonné aux besoins de l'homme. C'est pour ça que hier, vers 09:00pm, je suis parti si loin. J'ai passé la nuit au gré du vent pour finir ma course sur ce promontoire rocheux. Maintenant qu'il est temps de rentrer, je me sens serein et prêt pour une nouvelle journée. Learn and Teach.
La ville m’accueille, comme à l'accoutumée, par des sons agressifs et puissants. La ville qui ne dort jamais s'éveille. Je la parcours sans prêter attention aux détails. Le lever de soleil est définitivement mille fois plus impressionnant que tous les gratte-ciels de l'entour. Le gigantisme n'a de limite que dans l'humilité.
A proximité de Hina, j’accélère. Avec quelques détours, il est possible de prendre beaucoup de vitesse et je veux pénétrer l'enceinte d'un seul coup, sans étape. Debout sur les pédales, je sens ma belle qui s'emballe et mes muscles qui forcent. Faster. L'enceinte est maintenant en vue. Allant de plus en plus vite, je dépasse maintenant les voitures et les motos. Pas de limitation quand je suis sûr Tomo. La liberté est notre seule entrave. Mains sur les poignées, freins relâchés, à moins de cent mètres je suis encore à pleine vitesse. Alors je le remarque. Comme une provocation vulgaire sur un pan de la route. Un transporteur de véhicules, châssis bas et tremplin potentiel sur le dos. J'estime rapidement mes possibilités, analyse mes chances, et fonce sans réfléchir. A quoi bon, le temps presse.
Le choc fait trembler Tomo et me désequilibre un instant. Je redresse et profite de la vitesse pour transposter mon centre de gravité sur l'avant. Au moment où la première roue perd tout contact avec la matière, j'affirme mon envol avec un violent soubresaut sur l'arrière. Et ça y est. Une nouvelle fois, je vole. A plus de cinq mètre du sol, à une vitesse létale en cas de chute, je suis libre. Quelques secondes avant que la gravité ne reprenne ses droits, je passe par dessus le mur d'enceinte. Le temps d'apprécier l'instant, et je reprends mes droits sur mon equilibre. La chute va être rude, m'assurer que ni moi, ni Tomo ou Niké ne serons blessés.
Comme prévue, la chute est rude. Violente même. Je reste sur ma compagne au prix d'un terrible effort et sens, ardemment, le choc remonter le long de ma colonne vertébrale. Pas le temps cependant de s'en plaindre. L'adrénaline me maintient vif et j'amorce un dérapage long et efficace. Le gravier vole en éclats et les roues s'emballent. Je perds violemment l'equilibre, bascule du côté doirt et glisse sur quelques mètres avant de me redresser et de terminer la course, droit, le pantalon détruit et les mains en feu, sur Tomo-chan, ruisselante elle aussi de sensations fortes.
La tension redescend d'un coup et j'éclate de rire. La sensation de liberté est grisante. Je viens de risquer ma santé, mes os et mes amis de route, mais nous nous sommes fait confiance mutuellement et tout s'est bien terminé.
Sans accorder un regard au mur que nous venons de survoler ni au portail qui bougonne de ne pas avoir pu faire son office, je me laisse tomber sur le banc le plus proche, la respiration haletante et un rire sur les lèvres. Un spasme soudain me pousse à éclater de rire encore une fois. Posée contre le banc, Tomo est toute excitée. Niké, sobre et sombre, apprécie l'instant avec son habituelle nonchalance. Je me redresse alors et j'aperçois, sur le banc, à moins d'un mètre, une personne assise. Encore étourdi, je n'arrive même pas à voir si c'est une femme ou un homme. Tout s'est passé si vite ! Alors pour conserver une certaine contenance, j'annonce :

- Hello, Nice day for a nice travel, aren't you ?

« For me it’s just a day… »

C'est un homme. Il me répond en anglais ! Un instant, j'apprécie qu'enfin quelqu'un me parle dans ma langue natale. Malgré son accent d'outre-mer, il s'exprime sans difficulté. Par contre, sa réponse manque quelque peu d'entrain. En vérité, tout en lui respire un manque de quelque chose. Cigarette à la bouche, il semble en effet ne pas être natif d'un pays asiatique et cela ne joue pas en la faveur d'un sourire. Ici, les gens ont tendance à sourire facilement, souvent par politesse ou par embarras et même s'il est dommage d'en user à des fins sociales, le sourire reste une marque chaleureuse lorsqu'elle n'est pas détournée. Mais dans le cas présent, quelque chose d'étrange se dégage de lui. Déjà, pas même un rictus polie ne vient étirer ses lèvres. A côté, encore sous l'euphorie de mon envol, je dois avoir l'air bien joyeux. Je dirais même... Vivant.
Il s'adresse à nouveau à moi sur un ton emplit de formalité. Rien ne semble pouvoir transpercer sa carapace de nonchalance. En fait, c'est encore plus flagrant maintenant que j'ai rencontré mon Maître Archet. God damn it ! Pourquoi y-a-t-il tant de personnes tristes ici ?

« Est-ce que ça te dérangerais de me dire où est ce que je peux poser mes valises ? Juste le temps que j’ai ma piole quoi… »

Ce disant, il termine sa cigarette, se lève et au prix de ce qui semble être un effort de sociabilité, me tend la main. On dirait qu'il n'a pas fait ça depuis des années. Loghan. Smith. Si doute il y avait, il ne persiste plus. Cet homme est bel et bien anglophone. Puisqu'il s'est levé, je fais de même. Mettant Niké sur mon dos, je lui fais face. Je lui serre la main et remarque une cicatrice sur sa joue. Intéressant. Comment se l'est-il fait ? En se battant ? En défendant quelque'un ? Peut-être un être cher qui n'est plus là pour en parler. Est-ce pour ça qu'il est si triste ? Qui était-ce ? Sa soeur? Son meilleur ami ? Étrangement, je suis persuadé qu'il a perdu quelqu'un. Pas un membre de sa famille. Une personne avec qui il a crée des lien et qui ont été détruit par la mort. Peut-être bien son meilleur ami oui...
Tout à ma réflexion, je lui réponds et me renseigne sur lui.

- Jilano, enchanté. T'es nouveau ici ? T'as pas l'air d'être un élève en tout cas.

Sobrement, je m'empare de Tomo et, lui signifiant d'un geste que je vais accéder à sa requête, je l'invite à me suivre. Me voilà à nouveau en train d'accueillir un nouveau pensionnaire... Au fond de moi, j'espère qu'on ne va pas se perdre dans l'établissement.

HRP:

Nous continuons à marcher. L'adrénaline de tout à l'heure commence à retomber mais je garde une certaine bonne humeur. Quand j'y pense, c'est très bien ainsi car l'ambiance est à la morosité. Cet homme semble définitivement teinté de tristesse. Lorsqu'il me demande si le fait qu'il soit nouveau semble si flagrant, je me retiens de lui faire remarquer qu'un homme qui me demande le chemin des chambre en traînant à sa suite des valises de voyages est soit nouveau, soit complètement perdu. En bref, j'apprends aussi qu'il est surveillant. Bah tient, comme mon Maître Archet. A croire que c'est une sorte de marque de fabrique. Je ne relève pas cependant.

« Tu es élève toi ? »

Je me tourne vers lui. Il s'est rallumé une cigarette et avance comme si de rien n'était. Je remarque un instant son regard qui se pose sur Tomo-chan. Je ne dis rien mais espère bien qu'il n'a aucune vue sur elle. Nous ne saurions être en bon termes si cela s'avérait. En guise de réponse, je réfléchis une seconde à la question. Je me considère moi-même comme un élève à l'école de la vie. J'apprends, sans cesse, toujours, et sans relâche. Learn and Teach, that's my creed.. De plus, étant professeur pour la première fois, toutes les ficelles du métier ne me sont pas encore acquises. Je lui réponds alors :

- On peut dire ça oui. J'apprends au fur et à mesure.

Avançant toujours, nous finissons par arriver devant l'établissement. Je dépose Tomo à l'entrée et me dirige naturellement vers l'aile des chambres. Je m'inquiète toujours qu'il me demande de lui faire visiter car dans tous les cas, il est fort probable que nous nous égarions. Pas que je ne connaisse pas les lieu, simplement que mon sens de l'orientation à tendance à être capricieux dès lors que je me retrouve dans un bâtiment. Les quatre façades d'une construction m'ont toujours semblé se ressembler parfaitement. Pour éviter toute surprise, une fois arrivé en vue de l'aile, je lui demande :

- T'as pas l'intention de visiter maintenant, si ? Parce que je préfère te prévenir, on a toutes les chances de se perdre. Alors je t'amène jusqu'à ma chambre et après... C'est quitte ou double.

Je ne veux pas l'effrayer non plus, mais il est vrai qu'il vaut mieux qu'il n'ait pas de rendez-vous imminent s'il a l'intention de faire le tour de la propriété à mes côtés. Soudainement, une banalité me revient en tête et j'ajoute, presque pour moi-même :

- Tant que j'y pense aussi, il faudra que j'aille vérifier si j'ai pas cours ce matin...

« J’aurais apprécié une visite, mais t’inquiète pas, si tu as autre chose à faire, je comprend. »

Tout à mes pensées, je ne capte sa réponse que quelques secondes plus tard. Mon esprit vagabonde, comme à son habitude, et c'est ainsi que lorsque je lui réponds, légèrement, que je n'ai rien d'autre à faire que de lui faire visiter mais que j'ai la certitude que nous allons nous perdre, il n'est plus là. Un instant, je me demande s'il n'a pas simplement disparu. Peut-être a-t-il était happé par un vortex tridimensionnel de pensées obscures qui... Avant d'avoir pu donner une profondeur à ces élucubrations grotesques, il réapparaît soudainement à mes côtés. Je m'offre le luxe de l'incrédulité lorsqu'il m'annonce qu'il a tendance à partir très loin. Je me demande s'il parle de ses pensées ou de géographie. Nous arrivons devant la porte de ma chambre. Je m'y arrête et cherche mes clés.  L'opération étant hasardeuse, je meuble le vide laissé par des banalités.

- Comment es-tu arrivé au Japon au fait ? Tu n'as pas l'air d'origine nippone.

Je trouve inutile de préciser que moi non plus je n'ai rien d'un natif du continent. Somme toute, continuant à attendre sa réponse, j'ouvre la porte et présente les lieux.
La chambre. Ma chambre. En vérité, rien dans ce lieu n'évoque un seul instant qu'elle m'appartient. Aucun effet personnel accroché au mur ou placé sur les étagères. En fait, la seule chose qui permet de certifier que l'endroit est habitué, c'est le léger dérangement des draps sur le lit. Pour le reste, le lieu est rangé, cadré, presque aseptisé. Preuve inéluctable que je n'y vis pas. Dans le cas contraire, mes affaires auraient savamment investi chaque centimètre carré du lieu.
Tout à l'écoute, je récupère ses valises et les place sur l'autre lit qui, lui, est impeccablement fait. Preuve encore, si besoin est, que je suis seul dans cette chambre. J'ai alors une sorte d'illumination. En vérité, regardant cette chambre vide de vie et d'énergie, je sais que le seul moment où le lieu respire, c'est durant les cours de violon. Je me rends alors compte que perdu dans mes pensées, j'écoute mais je n'ai rien entendu de ses réponses. Je cligne des yeux pour me réveiller et me tourne alors brusquement vers lui.

- Eh !, dis-je soudainement, ça te dit pas de t'installer ici ?

L'idée, brusque et inattendue, me surprend moi-même. C'est vraiment n'importe quoi de proposer des choses comme ça à quelqu'un qu'on ne connaît pas. Tous les enfants savent cela. Il ne faut pas faire confiance à un étranger. Mais ce qui est dit ne saurait être annulé. De plus, je ne suis pas un enfant éduqué et j'accorde ma confiance à ceux qui la méritent. Et étrangement, cet homme m'a l'air digne de confiance. Mélancolique, triste, dépressif... Mais digne de confiance. Alors j'applique un sourire sur mes mots. Je pense que s'il accepte, je pourrais supporter l'odeur de la cigarette froide.

Il accepte. Et immédiatement il me met en garde contre lui-même. Bah tient. Plus je le côtoie - même si notre rencontre date de quelques minutes à peine - plus je me convaincs que cet homme à définitivement besoin d'aide. Le sait-il seulement combien sa tristesse dépeint dans ses actes ? Même son demi-sourire sonne vide de sens car nullement imprimé de vraie joie. Ainsi donc, d'un air aussi mélancolique qu'à l'accoutumée - si tant est que je puisse utiliser ce mot alors que je le connais depuis moins d'une demi-heure - il m'informe qu'il fume. A lot.. J'avais en effet cru le remarquer et cela me fait esquisser un sourire. Il m'apprends aussi qu'il a apparemment coutume de noyer son chagrin dans une quantité non raisonnable d'alcool. Mmh. Evidemment, je ne le juge pas mais je suis maintenant  convaincu que ce Loghan a besoin d'aide. Je ne suis d'ailleurs probablement le plus indiqué pour cela, mais je dois au moins tenter quelque chose.
En tant qu'être humain, j'ai appris que la vie vaut la peine d'être vécue. Cette empathie que j'ai pour l'Humanité me pousse parfois à me mettre en danger, comme cette fois où j'ai dû engager l'affrontement contre des alcooliques chronique pour aider une jeune femme qui se faisait agresser dans une ruelle sombre. Tout ça pour un tatouage en plus...
A la suite de sa réponse, je lui tends la main. Mais avant qu'il ne la saisisse, j'annonce :

- Ecoute, je n'ai aucun conseil à te donner. Ca ne me dérange pas que tu fume ou boive, mais sache simplement que si tu accepte d'être dans cette chambre, tu vas t'exposer à certains désagréments.

Ce disant, je lève l'autre main et applique le décompte au fur et à mesure.

- Premièrement, je prends des cours de violon avec mon Maître Archet. Alors  j'espère que tu aime la musique. D'ailleurs, voilà Niké, mon violon.

Je lui indique l'étui noir de jais de mon violon. Malgré la luminosité bien inférieure à celle d'un lever de soleil, celui-ci brille d'une lumière pure et contrastée de noir et de blanc uniquement. Je continue :

- Deuxièmement, il m'arrive assez souvent de ne pas rentrer de plusieurs jours. A moins d'avoir une bonne raison. Alors niveau sociale, c'est parfois un peu.... Vide dans cette chambre.

Je m'exprime presque sur un ton d'excuses. En même temps il est vrai que les gens se mettent à plusieurs dans une chambre pour pourvoir à leur besoin de relationnel. Alors n'être présent qu'un jour sur sept, ça fait peu.

- Troisièmement, il faut que tu sache que... Sans vouloir t'offenser, je vais essayer de te donner quelques cartes pour avoir un peu plus de joie de vivre. T'as l'air complètement anéanti. Je sais pas pourquoi et je te demanderai pas. C'est ta vie. Si un jour tu veux m'en parler, j'en serais ravi, mais je t'embêterai jamais sur le sujet.

Je me rends bien compte que mes paroles sont crues, presque impolies. Mais je me dois moi aussi de le prévenir qu'il risque de regretter son acceptation. Après tout, c'est moi qui l'invite, il serait mal venu de lui cacher les tenants et les aboutissants du contrat en cours. Pour adoucir le propos, je lui offre quand même un sourire. Ca ne coûte rien et ça exprime la sympathie que je suis potentiellement capable de lui apporter.

- Alors, t'es prêt à prendre un tel risque ?

Un contrat est passé. Il accepte de s'installer en toute connaissance de cause et je ne prends pas la peine d'insister quand il me demande s'il peut s'installer. Après tout, il ne reste plus qu'à attendre la confirmation du Directeur et l'accord sera scellé. Je m'assois sur mon lit, un problème sur deux étant déjà réglé. Sa valise posée sur le sien parle d'ailleurs d'elle-même concernant son installation à venir.
Je repose quelques instants mes jambes qui, maintenant que la tension est tout à fait retombée, demande un peu de repos. C'est vrai que je pédale depuis hier matin presque en non stop. Un peu de repos ne pourra pas me faire de mal.
Je remarque alors qu'il me regarde et sa question fuse. Je ne la comprends pas tout de suite. Pourquoi avoir nommé Niké? Et bien... Je suppose que la réponse est évidente. Nos propres parents ne se sont jamais demandé pourquoi ils nous ont donné un prénom. Le nom désigne. Il donne une profondeur, une identité à ce qui nous est cher. On nomme ce qui a un sens pour avoir des repères. "Violon" désigne toute une catégorie, comme "Human kind" une espèce. Et pourtant, personne ne se demande pourquoi on n'appelle pas les enfants "Human". En y réfléchissant, je comprends qu'il se questionne sur le pourquoi avoir nommé un "objet". La question semblerait justifié si la logique ne venait pas entraver ce jugement. J'ai un sourire à cette idée. Il est vrai que je n'ai jamais donné de nom à mon porte feuille ou à mes chaussures. La grande différence entre Mes chaussures et Niké? Et bien c'est sûrement que l'un m'est bien plus précieux que l'autre. Lui et Tomo Sont pour moi de véritables amis. Ils m'ont apporté une aide, un soutien pour avancer là où aucun être humain n'a jamais rien pu faire. Je les ai nommé car ils m'ont rendu ma joie de vivre chacun à leur manière. Ce sont mes amis.
Alors, comme mes pensées dépassent mes mots et que je ne sais pas comment lui exprimer clairement le pourquoi, je lui réponds, simplement :

- J'ai nommé Niké parce qu'il ne peut pas le faire lui-même.

A cela, j'ajoute à mon propos mes gestes et le sort de son étui. Noir de jais, d'un verni sublime, c'est un instrument « entier » même si je ne sais toujours pas ce que ça veut dire, qui mesure environ 61 cm. La table, sombre et noble en épicéa porte les cordes en acier tressé et la volute en forme de tête de femme. Je lui montre donc précisément ce visage finement sculpté.

- Tu la vois ? C'est Niké, la déesse grecque de la Victoire.

Je le replace délicatement dans son étui mais le laisse ouvert, au cas où il voudrait le regarder encore ou même le prendre. Sur ce, je me lève et me dirige vers la porte, m'adossant au battant. Après quelques instants, je lui indique la sortie et annonce :

- Comme tu me l'as demandé, on peut aller visiter si tu veux. Mais comme je te l'ai dit, on risque de se perdre, j'ai encore un peu de mal à me repérer en intérieur.

Maintenant que tous les aspects techniques de son arrivée sont réglés, je pense qu'il est temps d'aviser un point de vue plus... familier de la situation.

Visiter l'extérieur ? Il est sérieux ? Avec plaisir ! S'il savait qu'il m'offre, ce faisant, une nouvelle occasion de n'avoir que le ciel au-dessus de la tête et la terre sous les pieds, exactement mon domaine de prédilection. I'm loving it ! En guise de réponse, un sourire s'étend sur mes lèvres et je me dirige droit vers l'entrée du Pensionnat. Quel meilleur endroit que la sortie principale pour se perdre ? D'ailleurs, le soleil d'aujourd'hui se prête tout à fait à une escapade. De ces sorties qui réservent des surprises. Du coup, tout au plaisir de ne pas devoir lui faire faire le tour du propriétaire, je me tourne vers lui :

- Dis, tant qu'à faire, ça te dirait pas de visiter la ville ? En plus, si tu sors souvent, ça te fera un premier repère. A moins que t'aies un rendez-vous de prévu ?

Comme pour appuyer ma proposition, je m'arrête à proximité de Tomo. Elle aussi attend de pouvoir repartir. De légères courbatures parcourent mes jambes mais je n'en prends pas compte. Je n'aime pas particulièrement les espaces urbains, mais je me dis qu'avec quelqu'un qui à l'air de s' connaître, l'expérience pourrait être différente. En même temps, s'il me proposait autre chose, je serais partant aussi. C'est à lui de savoir ce que le feeling lui dicte. Suivre son instinct et ses envies dans le respect d'autrui, précepte de base.