Un tour à droite. Un autre tour. Un petit tic tac. Quelle heure est-il madame Persil ? L'heure peut-être de te réveiller, l'heure peut-être de t'animer, l'heure peut-être d'arrêter cette folie, de pleurer cette utopie, de demander à chaque instant l'être aimé...Ignoble Hannah. Mes yeux émerveillés observent la petite clé dorée que je tiens dans ma main, un joli instrument, un instrument dont la taille va à ravir à la porte si minuscule qu'elle ferme, la porte d'un joli monde, la porte de mes songes, ma chambre adorée, ma chambre que je viens de sceller !

Il est assez tard, peut-être dix-huit heures, j'avais raté l'heure du gouté, me voilà bien embêtée...Mon ventre me murmurait famine et moi je ne savais où trouver de quoi me sustenter, le repas du soir n'était pas encore servi et ma réserve de gâteaux avait disparu, paf ! Ma main enfouie dans le grand pull que je portais laissa la clé dans une poche, un petit sourire aux lèvres, une esquisse joviale et enfantine. La peinture d'une agonie profonde.

Un chuchotis hante le couloir, un chuchotis qui se transforme peu à peu en une mélopée illusoire. Je chante tout bas la musique du soir, la contine que j'aimais tant ! Je me baladais pieds nus, à la recherche de nourriture, peut-être qu'une dame de la cantine passerait par là, peut-être un morceau de chocolat ? Oh oui, du chocolat ! Sourire émerveillé, bouille ronde, joues rosies par le plaisir, les lèvres qui s'humectent peu à peu. Le bout de chou sucré galope dans les couloirs, le soleil se fatigue de cette course sans intérêt, d'une agonie bien monotone et malgré tout souffrante, son sang pare les vitres de rouge, un rouge que tu hais tant Hannah...Un rouge qui recouvre à nouveau tes pieds, tes joues et ton sourire d'ange brisé.

Hannah est si heureuse !

Mais à force de courir, l'ange risque de tomber, à force de fui, il va finir par crever. N'est-ce pas déjà le cas, Hannah ? L'odeur du chocolat éveille mes sens, voilà une dame du pensionnat qui transporte des cookies, descendant les escaliers. Oh oui oh oui, des cookies ! Il faut la rattraper, sinon le gouté sera cuit. Mes jambes me portent, mais à trop galoper je vais devenir bien ennuyée. Sourire joueur, regard excité, ma main tente d'effleurer la douceur chocolatée.


Oui, tu voles Hannah, ton pied a glissé, après tout c'est un peu normal oui, de ne plus avoir le contrôle de ses jambes. Passer tant d'années dans le coma, à ne pas marcher, à ne pas courir, à ne pas vivre tout simplement, ça tue un être, sa capacité à se mouvoir et à sentir l'herbe tendre sous ses pieds nus. Ta démarche un peu pataude t'a laissé tombé, ton corps n'a pas supporté, et la faim n'arrange rien à la chose. Tombe bien Hannah...Subis la souffrance que tu m'as fait subir, avec vigueur et éternité, plonge dans ces abysses pour ne plus jamais en ressortir.

Mon front frappe le sol en premier, un groupe de jeunes filles d'à peu près quinze ans recule en couinant. Et moi ? Je ne sais pas. Ça fait un peu mal, mais ce n'est pas grave, c'est juste une chute ! En tout cas, le plateau de cookies s'est enfuit, ce n'est pas juste, bouh bouh ! Je relève ma tête, m'asseyant tant bien que mal et me massa le crâne pour finalement sourire au groupe de jeunes filles qui commença à pouffer. Un léger rire sortit de mes lèvres. La nature humaine est cruelle, au point de te laisser là, assise, à rire de ta bêtise et de ta maladresse, de ton idiotie et surtout de ton incroyable innocence. Mais Hannah, est-ce que ce rire t'aurais blessé ? Pas le moins du monde !

"Mademoiselle Sourire est encore tombée."

C'est la fille du milieu qui a dit ça, elle doit être habituée à me voir galoper, en tout cas je frotte l'arrière de ma tête en gloussant face à sa remarque. Je crois que ce rire l'a mis mal à l'aise, peut-être aurait-elle voulu que je me mette à pleurer ? Oups, désolée ! Elle partit, accompagnée de ses amies, passant devant un jeune homme. Tiens je ne le connais pas celui-là ! Mes yeux grisés l'observent, curieux et agrandis, les lèvres toujours jointes dans un petit sourire. Il a des cheveux d'une étrange couleur, un peu comme ses yeux, un visage androgyne et il est grand ! Il doit être nouveau, on dirait qu'il s'est perdu.

Le bout sucré tend sa main cachée dans son pull vers l'inconnu, sourire candide sur son visage rond, ne se rend-t-elle pas compte de sa situation ? La voilà qui lâche un petit rire cristallin, la voilà qui parle cette langue si difficile pour elle, toujours avec son éternel accent russe.

"Hannah te dit bonsoir ! Hannah te souhaite la bienvenue ici ! Ton nom ?"

J'ai encore un peu de mal, mes yeux sont un peu fautifs, et j'essaie de m'excuser du regard, n'ôtant pas ce mince sourire de mes lèvres. Hannah n'est qu'une idiote. Je sentis des talons claquer sur les marches de l'escalier, quelqu'un descendait-il ? Je reconnaissais cette démarche et j'ai tourné la tête pour offrir un grand sourire à la jeune fille avant de le laisser se découvrir à l'inconnu.