« AGON ! NON ! »

Malgré les hurlements de cette voix qui autrefois résonnait comme une mélodie splendide dans ma tête, mon geste ne se stoppa pas net. Et pourtant, j'aurais voulu, vous savez, comme dans ses films, ses pauvres navets que la critique adorent. Le genre de film où le héros pète un câble, il devient taré, fou, instable, il est là à la limite de l'amour et la haine et alors qu'il va appuyer sur la détente la voix de sa bien aimée le stoppe à temps. Tout ça dans la demi seconde du geste, et bien non, cette scène était tout à fait différent. De une, je ne suis pas un héros, juste un pauvre gars, de deux, ce n'est pas ma bien aimée, juste une traînée qui se tapait cet inconnu, et enfin de trois, ce n'était pas une arme, seulement mon poing. Alors que je frappais ce pauvre inconnu qui venait juste de s'envoyer en l'air avec ce qui me servait de copine je réalisais à quel point ma vie était qu'un ramassis de merde et de conneries. Et ce, d'aussi loin que je pouvais remonter..

Mes premiers souvenirs ne débutent que vers mes cinq ans environ, on m'avait déposé bébé dans cet orphelinat, et j'entrais enfin dans ce qu'on appelait la cour des grands. Aux dernières nouvelles, j'étais un étranger. Aux yeux de tous, je n'étais qu'un pauvre touriste, et en plus de ça mes parents m'auraient oubliés. Merci bien pour le début sur ce Monde. A mon entrée vers les grands, je n'attendais rien, je ne voulais rien, je m'étais juste assis dans mon coin. Ne parlant pas, ne regardant personne, j'étais seul avec mes soucis et je vivais avec. J'avais toujours été un enfant calme, j'étais gentil, n'attirant de problèmes à personnes. Malgré mon jeune âge, j'étais studieux, sage, un vrai petit ange à vrai dire. Mais alors que j'étais assis là, tranquille, n'embêtant même pas l'herbe sur laquelle j'étais posé, ce groupe de gamin plus vieux m'entourait soudain. Je relevais la tête, les regardant, ils avaient l'air méchant. Ils l'étaient. Sans raison apparentes, jusque parce que j'étais nouveau et qu'il fallait que je sache, ils me lynchèrent à sang. Seul, je ne me protégeais qu'à peine. Sous les coups de pieds, de poings, les bouts de bois écorchant ma peau et les petits cailloux m'obligeant à fermer les yeux je pensais. Oui, je pensais que je n'étais sûrement pas en position de m'imposer dans le monde, qu'après un si mauvais départ je ne pouvais que tomber, que finir en victime de ses gamins se pensant plus malins. Alors que la souffrance n'était même pas de mise, je me laissais faire, une fois qu'ils arrêtèrent, voyant bien mon corps immobile, mes habits en charpie et mon sang se déversant dans l'herbe, je riais. Oui, même si les larmes coulaient sur mon visage parce que la douleur était présente, je leur riais à la gueule. Pourquoi ? Simplement pour prouver que quoiqu'ils fassent je serais au dessus d'eux parce que même à terre, sans pouvoir bouger, en sang, je trouvais encore le moyen de sourire...

Alors que les mois défilaient sans interruption, que l'orphelinat et l'école devenait de plus en plus un lieu où les plus grands martyrisaient les plus petits, je devenais plus fort. Je résistais aux coups incessants, je répliquais même parfois. C'était une guerre sans merci, simplement une violence gratuite pour montrer qu'on était pas faible. Nous, les orphelins, c'était dur pour nous. Nous n'avions pas de famille, pas de proche, nous commencions avec rien, pas une main caressant nos cheveux, pas une voix qui réchaufferait nos cœurs, pas de lèvres qui se poseraient sur nous pour un signe d'affection, non, nous n'avions pas tout ça. Nos débuts n'étaient pas tracés, nous n'arrivions pas en plein milieu d'un foyer chaleureux, non, on était entreposés dans des orphelinats, comme si on avait la peste. On était écartés des enfants normaux pour pas que le bonheur qui dégoulinent de leurs paroles ne nous touche, non, on était trop misérable. J'avais compris ça en grandissant, les années avaient passés, j'étais un grand paumé maintenant. Je n'étais plus l'enfant victime de mon premier jour, en faite je ne pense ne jamais l'avoir vraiment été. J'avais toujours eu la sensation d'être gagnant. Je n'avais aucune ambition, aucun rêve de grandeur, j'avais simplement envie qu'on me foute la paix, qu'on me laisse vivre comme je l'entendais. Les années avaient défilées comme des minutes, et de mes pauvres cinq ans et mon entrée dans la cour des grands, j'étais devenu le gars craint de l'orphelinat, celui qu'on ne devait pas fréquenter, celui qu'on évitait de croiser, d'approcher. Je n'avais pas mérité ce titre, je l'avais simplement eu à force de me défendre. D'un gamin calme et sage j'étais devenu un espèce de monstre de violence et de vulgarité. Je ne me reconnaissais pas, je n'étais plus moi mais cette façade était une bonne chose, après tout on ne me tapait plus dessus..

J'étais devenu en quelque sorte un leader. Je menais les rebelles tel un chef stratège. J'aimais ça, j'aimais m'imaginer dans toute sorte de situation, j'avais envie de croire que ma film ressemblait à un film, à une histoire, tout ça pour me dire qu'au final c'est faux, que ce soir, après avoir tiré ma journée j'irais retrouver ma famille et tout ce qui va avec. J'aimais cette pathétique image de moi serrant des parents. Plus j'avançais plus c'était la seule chose qui ressemblait à de l'humanité chez moi. Lors de l'année de mes 16 ans, j'héritais d'une fortune inestimable. Mes parents, ceux qui m'avaient donné la vie venait de périr dans un crash aérien. J'en appris plus sur eux, mais il était trop tard. A 16 ans j'étais déjà irrécupérable, et ce n'était pas le moment où je m'en rendais compte, cela faisait un moment déjà. Je commençais à fumer des clopes, puis des joints, à boire quelques bières, puis du whisky. Je devenais l'ombre de moi même, un être malsain, violent, n'agissant que sous les effets des émotions que j'avais du mal à ressentir. Et je grandissais, encore et encore, jusqu'à ne plus retourner à l'orphelinat, à seulement vivre des moyens de mon héritage. Je sombrais, m'écroulais, la rue m'enseigna le reste de la survie. Je construisais un semblant de vie, et ce qui changea tout ça fut cette nuit là. Je pensais être heureux, enfin, un minimum, j'avais rien mais j'aimais cette nana, c'était mon moyen de pouvoir m'en sortir un peu. La découverte de son infidélité détruisit tout en moi. Les semaines passaient après que je ne pus m'empêcher de fracasser cet homme qui savait probablement même pas qu'elle me trompait. Misérable connerie..

Je me retrouvais, là, dans le présent, hanté par ces événements, ce passé et cet avenir guère meilleur. Dans mes vêtements dernier cri, dans ce loft spacieux et moderne, je me trouvais assis contre ma porte. Saoul, défoncé, en larmes. J'étais tombé bien bas, bien trop bas, plus que je ne pouvais supporter. Je n'avais plus rien, plus de rêve, plus d'espoir, seul la lame qui tranchait mes veines pouvaient décider de mon sort. Alors que le sang coulait, que je sentais une douleur libératrice, je souriais, un mal salvateur s'emparait de mon corps, mon âme. Puis plus rien. Lorsque je me réveillais, je n'avais plus qu'une gueule de bois atroce, des douleurs aux poignets et ma moquette flinguée. Après cet échec cuisant, je comprenais que j'étais si mauvais que je ne pouvais même pas réussir à perdre la vie. Alors que j'avais mal, que mon corps refusait de bouger, je riais. Prouvant que maintenant que j'avais creusé jusqu'aux bas fonds de l'Enfer, je n'avais plus qu'à remonter. Il cherchait un surveillant dans ce pensionnat, c'était sûrement l'occasion rêvé de repentir mes pêchés, de laver mes vices et d'avoir l'espoir de construire quelque chose de meilleur, quelque chose de sain...