La journée appartient à ceux qui se lèvent tôt. Tout portait donc à croire que celle-ci commençait plutôt mal pour ce cher Chomei qui était – disons-le franchement – à la bourre. Les couloirs étaient encore vides de monde à cette heure-ci, il courrait pourtant à vive allure, esquivant de son mieux les rares obstacles qui croisaient son chemin. Cette petite course improvisée dura jusqu'au moment où il parvint enfin au rez de chaussée, essoufflé et quelque peu débraillé – diraient certains. Il ouvrit – arracha presque, en fait … - la porte de l'infirmerie , se précipita à l'intérieur, regarda à gauche puis à droite. Personne. Pas d'élève. Pas de prof, pas d'autre infirmier, pas de directeur. Rien. Du tout. Niet. Nada.

Chomei se détendit enfin. Il en profita pour retrousser les manches de sa blouse, déplisser sa chemise, réajuster sa cravate ainsi que ses lunettes. Ses pieds se traînèrent jusqu'à un petit bureau dans un coin de la pièce, envahi de ci de là d'un tas de cartons éparpillés, à moitié ouverts, à moitié vidés, renversés … Il n'avait pas encore trouvé le temps – ou l'envie – de s'occuper de tout ce bazar. Son pied rencontra délicatement un des dits cartons qui alla s'échouer un peu plus loin, ne manquant pas de vider son contenu au passage.

- Génial.

Une tripotée de livres tapissaient désormais le parterre de l'infirmerie. Livres qui n'étaient absolument pas censés se trouver ici d'ailleurs, puisqu'il était certain de les avoir tous amené dans sa chambre à son arrivée. Le jeune homme se pencha alors pour les ramasser avec douceur, amour presque. Cela pouvait sans doute paraître totalement ridicule d'un point de vue extérieur mais il tenait beaucoup à ses petites merveilles. Ces livres avaient été ses plus fidèles amis des années durant et si aujourd'hui, il pouvait se permettre de passer de bons moments avec des connaissances, des copains, ça n'avait pas toujours été le cas.

Une fois les livres remis à leur place et le carton solidement refermé, il se releva pour aller le poser bien sagement dans un coin, se promettant intérieurement de ne pas oublier de le récupérer au moment de partir, le soir venu. Ce fut ce moment que choisit la porte – parce que oui, la porte a ses humeurs – pour s'ouvrir à nouveau, de façon presque aussi fracassante que la fois précédente. Sous l'effet de surprise, l'infirmier battit le record de saut en hauteur du lycée, lâchant par la même occasion ce qu'il tenait dans ses bras. Rebelote.

Chomei ferma les yeux et se massa l'arrête du nez en respirant doucement. Cette journée commençait décidément très mal. Avec un incroyable effort de volonté, il se scotcha un sourire aux lèvres et se retourna d'un geste vif, bien décidé à reprendre son entrain habituel.

- Bonjour ! Qu'est-ce que je peux faire pour …

La fin de sa phrase se perdit et on ne la retrouva jamais plus. Un garçon – un étudiant sans doute – était adossé contre la porte, visiblement mal en point. Il resta bête un instant avant que ses capacités cognitives ne lui rappellent que c'était sans doute à lui de faire quelque chose. Il se pressa alors jusqu'à l'adolescent, lorsque sa voix s'éleva, presque suppliante, pour demander de l'aide. Chomei fronça les sourcils. Peut être cela était il plus grave que ce qu'il n'y paraissait. Il s'accroupit face à lui.

- Tu as de la fièvre ?

Question purement rhétorique, puisque l'infirmier avait pris l'initiative de vérifier par lui même cet état de fait en posant une main sur le front de son premier « patient » de la journée. Sa température semblait effectivement plus élevée que la moyenne. Il l'aida à se redresser légèrement, laissant juste assez de place entre son dos et la porte pour lui permettre d'entourer ses épaules de son bras.

- Tu peux marcher ?

Il jeta un rapide coup d’œil au lit qui se trouvait de l'autre côté de la pièce. Heureusement que le reste de l'infirmerie n'était pas le même état que son bureau sinon, il y aurait sans doute de quoi en faire fuir plus d'un.

En vue de la situation actuelle, Chomei devait bien admettre qu'il avait curieusement l'impression de servir de peluche. L'étudiant semblait être à moitié dans les vapes et peinait à tenir debout, s'agrippant à sa blouse pour ne pas voir ses jambes flancher. La situation aurait pu paraître presque gênante si celle-ci ne s'était avérée si désagréable pour ce dernier. Il avait sans doute attrapé une bonne grippe ou un quelconque virus plus ou moins similaire.

A peine Chomei eut-il le temps de se dire que ce garçon éprouverait sans doute quelques difficultés à se déplacer seul que le principal concerné tenta de marcher jusqu'au lit de l'infirmerie. Il eut à peine le temps de faire quelques pas avant de trébucher et de s'étaler par terre. L'infirmier ouvrit des yeux ultra-choqués. Visiblement, à lui non plus, ce n'était pas son jour. Il se précipita jusqu'à lui pour s'assurer qu'il ne s'était pas amoché davantage encore. L'autre crachota un filet de sang avant de se ressaisir.

- Désolé, je nettoierai …

Une envie soudaine de frapper cet imbécile* le prit l'espace d'un instant. Il ferma les yeux et respira profondément en se massant l'arrête du nez. Lever la main sur un élève était totalement proscris par le règlement du pensionnat, il serait donc dommage de sa part de perdre son poste pour quelque chose d'aussi futile …

- A moins que tu ne sois venu ici pour faire le ménage – et ça, permet-moi d'en douter … je crois que nous avons à traiter de quelque chose d'un petit peu plus important, finit-il par dire.

Comme pour appuyer ses propos, il l'aida à se relever puis il passa à nouveau un bras dans son dos ainsi qu'un autre sous ses jambes pour le porter jusqu'au lit, sur lequel il le déposa avec le plus de délicatesse possible. Le pauvre avait sans doute eu son lot de mésaventures pour la journée, sans avoir besoin d'en rajouter une couche.

- Tu t'es rien cassé au moins en tombant ? demanda-t-il suspicieusement.

Chomei l'observa – le scanna serait plus exact – un petit moment pour s'assurer qu'il n'ai effectivement rien. Il s'éloigna ensuite et fouilla à quelques endroits de la pièce pour revenir peu de temps après avec des mouchoirs et de quoi se rincer la bouche. Il posa le tout sur le matelas, à côté de l'étudiant.

En voilà un qui n'assisterait pas à ses cours aujourd'hui. Ne restait qu'à espérer qu'un cachet, une bonne journée de sommeil et quelques jours de repos suffiraient à lui redonner la forme. Lui même n'avait pas eu la patience de suivre encore quelques années d'études pour se spécialiser en médecine et n'avait donc pas les compétences requises pour se permettre de faire un quelconque diagnostic ni de lui prescrire le moindre médicament. Un cachet effervescent était encore ce qu'il pouvait faire de mieux.

Il prit alors son poignet entre ses doigts pour mesurer son pouls. Il compta ses battements une minute durant avant de le reposer finalement, n'ayant pas à s'alarmer outre mesure. Son cœur battait à peine plus faiblement que la moyenne, ce qui n'avait rien de surprenant lorsque l'on voyait l'état dans lequel se trouvait ce garçon actuellement.

_____

*(:3)

Après une énième question brillante par son absence totale de réponse, Chomei fini par s'apercevoir qu'il parlait dans le vide depuis un moment déjà. Alors qu'il prenait son pouls, il en profita pour scruter à nouveau le visage du garçon qui lui faisait face. Celui-ci semblait être plongé dans un état léthargique, à mi chemin entre le rêve et l'éveil. Pas même conscient de ce qui se passait autour de lui. La fièvre avait dû monter, sans doute.

Chomei aurait bien été tenté de le secouer pour le faire réagir mais ce n'était certainement pas la méthode à adopter pour le cas de figure dont il était question. Le pauvre garçon serait capable de s'évanouir dans la seconde s'il s'évertuait à faire une chose aussi stupide.

Quelques mimiques et expressions se fichaient de temps à autre sur son visage, signe apparent qu'il était prisonnier de ses songes. Le poignet de Chomei fut saisi au moment même où il reposait celui de son interlocuteur muet. Il leva vers lui un regard un peu surpris et s'aperçut rapidement que l'autre avait l'air … mal à l'aise ? Il semblait vouloir dire quelque chose sans pour autant réussir à laisser le moindre mot franchir ses lèvres. Alors qu'il se faisait agripper pour la seconde fois de la matinée, l'infirmier se dit qu'effectivement, une peluche aurait totalement sa place dans cette infirmerie … Tout en prenant un soin tout particulier à regarder ailleurs, il tapota maladroitement la tête du plus jeune, ne sachant pas réellement quelle attitude adopter face à cette réaction quelque peu surprenante.

- Vous n'allez pas me laisser, n'est-ce pas ?

Un regard ahuri lui fit office de réponse. Chomei cligna des yeux plusieurs fois, se torturant l'esprit dans l'espoir de comprendre ce qui ne tournait décidément pas rond chez ce garçon. A ce rythme là, il serait le prochain à avoir besoin de prendre un peu de repos. Une fois de plus, il se massa l'arrête du nez. Cela commençait d'ailleurs sérieusement à devenir une habitude.

- Nonobstant le fait que mon bureau se trouve à peine à quelques pas de là et que je sois dans l'impossibilité de le quitter avant midi, tu veux dire ? Il y a effectivement de fortes chances pour que je culpabilise rien qu'à l'idée de t'abandonner à ton triste sort, vu ton état.

Au moins semblait il avoir retrouvé sa langue, désormais. Espérant que ses dernières paroles – bien que pointées d'une légère ironie – avaient eu l'effet escompté, il intima à l'étudiant de s'allonger d'une légère pression sur les épaules. Dormir ne pourrait pas lui faire de mal et l'inciterait à ne plus se concentrer sur la douleur pour un petit moment. Une fois encore, l'infirmier s'éloigna pour cette fois-ci s'arrêter devant une armoire. Il en sortit une couverture qu'il déplia et tendit à l'autre garçon, aussitôt qu'il fut de retour à ses côtés.

- Tu ferais bien de te reposer un peu. Je vais te donner un cachet, ça aidera à faire tomber la fièvre.

Le geste suivit la parole. Chomei revint au bout de quelques minutes, avec à la main un verre d'eau à l'intérieur duquel était entrain de se dissoudre un cachet effervescent. Certes le goût était assez exécrable, mais ça avait au moins le mérite de faire son petit effet. Et puis au moins ce garçon serait il libre de regagner sa chambre lorsqu'il serait de nouveau en état de tenir sur ses jambes.

- J'ai chaud ...

La température de la pièce n'avait pas varié d'un celsius depuis que Chomei était arrivé mais pourtant, la fièvre de l'adolescent semblait s'être encore accrue. Ce qui en soit n'était pas vraiment habituel, puisqu'elle n'avait pas tendance à monter aussi rapidement, normalement.

- Faîtes quelque chose … J'ai chaud. Trop chaud. J'étouffe.

Il passa à nouveau une main sur son front, constant de toute évidence que sa fièvre avait bel et bien augmenté. Lui-même commençait à sa faire un peu de soucis … Par un réflexe nerveux, il se mordit la lèvre. Il devait se reprendre. Après tout, si l'état de ce garçon ne s'améliorait pas d'ici quelques heures, rien ne l'empêcherait de contacter la direction du lycée pour leur demander de faire venir un médecin. Pas de quoi paniquer, donc. Il posa le verre dans lequel le cachet était entrain de se dissoudre sur la petite table métallique qui se trouvait à côté du lit.

- Déshabille-toi et couvre-toi là dessous, dit-il en attrapant la couverture pour lui jeter dessus. Je vais chercher de quoi te rafraîchir.

D'une démarche un peu précipitée bien qu'assurée, l'infirmier s'en alla chercher ce dont il avait besoin. Après quelques recherches plus ou moins poussées – il n'avait pas encore pris toutes ses marques – il revint avec une petite bassine d'eau froide, dans laquelle étaient plongés deux linges. Il posa le tout sur la table de chevet et prit l'un des tissus, qu'il essora rapidement. Ne restait plus qu'à espérer que cela soulagerait un peu le plus jeune. Dans le cas contraire, il ne pourrait même pas se permettre de lui proposer d'aller se rafraîchir sous une bonne douche froide, cela ne ferait qu’aggraver la fièvre encore.

Une tisane ou une infusion pourrait également lui faire le plus grand bien, mais vu sa réticence à simplement se mettre sous une couverture, il doutait que l'autre accepte de boire une quelconque boisson chaude. « Jamais contents, ces gosses » se dit-il en levant malgré lui les yeux au ciel. Même s'il était plutôt mal venu de sa part de qualifier de gosse quelqu'un âgé d'à peine quelques années de moins que lui …

- Je vais te poser ça sur le front, alors cesse de gigoter.

Il secoua légèrement le linge humide sous le nez du garçon pour lui faire comprendre de quoi il parlait. Quand à l'allusion qu'il venait de faire sur le fait qu'il gesticulait un peu trop, pouvait-on vraiment reprocher à ce pauvre étudiant de se plaindre de son mal-être ? Qu'importe s'il s'agisse d'un quelconque virus ou de quelque chose de beaucoup plus grave, être malade n'était de toutes façons jamais agréable.

C'était d'ailleurs entre autre pour cette raison – en plus du fait qu'il travaille lui-même dans le domaine médical – que Chomei prenait grand soin de sa santé. Il ne buvait pas, ne fumait pas. Il mangeait équilibré – trois repas par jour -, essayait de faire du sport de façon régulière, dormait le même nombre d'heures chaque nuit, etc... Cela pouvait paraître certes un peu barbant mais une fois qu'on avait pris le rythme – ou l'habitude – de tous ces petits détails, il se faisaient de façon totalement naturelle.

L'attention de l'infirmier se reporta alors sur l'adolescent qui était toujours installé sur le lit de l'infirmerie. Une bonne journée de sommeil après ces quelques soins suffirait très certainement à lui faire reprendre du poil de la bête. Tout de moins, s'il se montrait coopératif. Ce qui – entre nous - n'avait été qu'à moitié le cas jusqu'à maintenant …