Asahi arriva devant le bâtiment qui ne vivait que la nuit. Il salua joyeusement le géant baraqué qui gardait les portes de ce lieu que certaines personnes pourraient qualifier de "saint" avant de se diriger, non vers lesdites portes, mais vers l’arrière du bâtiment. Un autre géant carré, un autre sourire resplendissant et cette fois, il passe les portes gardées. Il entre dans la grande armoire pour poupée grandeur nature, comme se plait le jeune travesti à décrire. Car la principale règle ici, est que c’est dans cette garde robe parfois étonnante par son contenu que les employés doivent prendre leur tenus de travail. La garde robe est renouvelée une fois par mois et certains soirs, les employés sont obligés de s’habiller selon un thème bien précis. Employés de quoi ? Bah, de la boîte de nuit de la ville pardi ! La plus populaire soit dit-en passant. Il faisait de la pub ? Mais non, il ne faisait que dire la vérité.

Le jeune travesti de dix-sept ans avait commencé à travailler ici car l’une de ses amplis de guitare s’était soudainement arrêtée de marcher. Avait-il les moyens de s’en racheter une rapidement ? Non, car il venait de se faire une petite folie en achetant une Gibson a un peu moins de 1000€ et qu’il avait dut faire les magasins de vêtements récemment, donc il n’avait pas assez pour se racheter un autre ampli ou faire réparer la sienne, si c’était réparable bien sûr. Il avait donc décidé de trouver un petit travail à mi-temps pour se faire de l’argent et s’acheter son ampli pour rejouer tranquillement de ses deux guitares. Et justement, le night club proche du pensionnat cherchait un ou une serveuse pour remplacer un employé avec une jambe dans le plâtre. Une chance pour le jeune travesti. Avec son éternel sourire, il s’était vite fait une petite place parmi le personnel, même si tout le monde savait qu’il finirait par partir. Asahi respectait aussi très bien les trois règles principales du boulot qu’on lui avait donné : « Ne pas boire pendant le service, Ne pas coucher avec un client pendant le service, Toujours choisir sa tenu dans la garde-robe des vestiaires. » Car il ne fallait pas le cacher, dans cet endroit, beaucoup finissait dans les toilettes soit pour une partie de jambes en l’air ou pour vomir toutes ses tripes. C’est ça aller en boîte de nuit après tout.

Asahi déambula un moment entre les "rayons" de tenus à la recherche de quelque chose de plaisant à mettre. Son regard bicolore accrocha à une petite robe aux tons bleus marines. Elle était très courte et pleins de dentelles, mais le travesti l’apprécia immédiatement pour la liberté qu’elle donnait à ses fines jambes. Bientôt il se retrouva avec des collants noirs, la robe sur ses hanches, attachant un gros nœud noir autour pour resserrer la robe autour de la petite taille. Sa peau légèrement pâle, son regard vairon et ses cheveux noirs s’alliaient magnifiquement avec l’ensemble choisis. Asahi n’oublia pas d’épingler son badge sur la robe, vérifia de quoi il avait l’air dans la glace et après une petite réflexion intérieure, il choisit de mettre un bandeau sur son œil vert. L’intensité de la lumière changeant fréquemment et brutalement dans cet endroit, il était préférable pour lui qu’il protège son œil le plus sensible aux rayons lumineux : il ne souhaitait pas particulièrement devenir aveugle d’un œil comme d’autres personnes aux yeux vairons, qui n’avaient pas fais assez attention.

Il alla ensuite saluer ses différents collègues et commença son travail. En quoi consistait-il ? C’est très simple : il y a de nombreux endroits dans la salle du club pour se poser après une danse plus ou moins éprouvante. Et ces endroits ne sont pas forcément très près du bar où l’on servait les rafraichissements. Il avait donc pour mission de porter les boissons aux clients qui en commandaient. Avec son sourire qui remontait constamment ses lèvres et son inquiétude facile, Asahi était né pour ce travail. Une petite mine inquiète avec la question traditionnelle « Est-ce que vous allez bien, vous voulez boire quelque chose ? » Et hop, il y avait 90% de chance que la victime de ce piège, tombe justement à pieds joints dans ledit piège. Bien sûr, Asahi en toute insouciance pensait vraiment ce qu’il disait et il ne jouait point la comédie.

Il commença d’ailleurs rapidement son travail car le nombre de personne dans les fauteuils augmentait de plus en plus. Il rallia donc les tables et prit les commandes pour revenir au bar et attendre que les précieux breuvages soient prêts. Certains garçons faisaient aussi exprès de commander les boissons une à une pour voir le serveur/serveuse s’activer et ainsi, avoir le privilège de voir voleter la très courte partie inférieure de la robe. Il y avait également des mains baladeuses, mais Asahi ne trouvait rien de mieux à faire que de rougir de gêne, sans rien dire aux clients. Généralement, c’était une autre serveuse qui tapait sur les mains qui tripotaient la jambe d’Asahi pendant que celui-ci prenait les commandes. Evidemment, habillé d’une robe, personnes ne se rendaient compte que la personne qu’ils touchaient et envers qui ils n’avaient pas forcément des idées très catholiques, était un garçon avec tout le kit entre les deux jambes. Car avec son grand œil bleu –le seul découvert– son visage enfantin et ses traits quasiment absents, ainsi que sa taille plus fine encore que la moyenne des filles, il ne donnait pas vraiment l’air d’être un garçon… Et le principal concerné préférait passer cette partie de son anatomie sous silence d’ailleurs. Non pas parce qu’il aurait voulu être une fille, mais parce que tout d’abord il aimait les autres garçons et que ceux qui l’avaient su n’avaient pas forcément été gentils avec lui…

Bref, Asahi naviguait des bars aux tables/fauteuils, notant sur son petit calepin, souriant à tout le monde, contournant soigneusement la piste de dance et ramenant sur un plateau d’argent des différents breuvages. Il aimait ce travail car l’ambiance de fête qui régnait dans la salle le rendait encore plus joyeux qu’à l’accoutumé, son sourire était donc d’autant plus grand et généralement, sa timidité n’arrivait pas à se faufiler entre sa bonne humeur et les inconnus. Juste un peu de gêne de temps à autre, mais rien de bien grave.

Le travesti dont la véritable nature était comme d’habitude inconnue, arriva dans une table où s’était installé un petit groupe d’amis adultes apparemment, mais les apparences sont trompeuses, surtout en cet endroit, déjà un peu éméchés. Sa voix légèrement cristalline retentit comme à chaque fois qu’il ouvrait la bouche pour poser une question qu’il connaissait bien à force de la poser souvent dans la soirée :

« Est-ce que vous avez envie de boire quelque chose ? »

Ils se trouvaient assez loin de la piste de danse et de l’un des nombreux amplis de la salle pour le jeune homme n’ait pas besoin de crier sa question, ce qui d’ailleurs lui faisait généralement perdre tout son charme, c’est pour ça qu’il avait l’habitude de se pencher pour poser LA question habituelle. Il regarda tour à tour chacune des personnes assises, son sourire ne quittant pas ses lèvres, comme sa bonne humeur.

Asahi regardait ses nouveaux clients de la soirée. Par terre trainait déjà une dizaine de bières. Le travesti se demanda un instant si ce n’était pas trop dangereux de leur proposer de boire encore plus, car aucune personne du groupe ne semblait être en état de reprendre la route après. Et ils risquaient forcément d’avoir un accident. Alors était-ce vraiment raisonnable ? Asahi n’en n’était pas totalement convaincu, quoi qu’on puisse lui dire, bien que les personnes face à lui soient des inconnus, le jeune homme qui portait une robe ne pouvait s’empêcher de ressentir une pointe d’inquiétude naitre quelque part dans son cerveau, dans son cœur et dans son âme.

Mais apparemment, le groupe d’adulte ne semblait pas se rendre compte de tous les malheurs qui pourraient leur arriver si jamais ils continuaient de boire… Car en plus des problèmes auxquels ils seraient confrontés sur le chemin du retour, il y avait également les risques de santé. Pourtant, lorsqu’on lui dit d’apporter de nouvelles bières pour les hommes et des cocktails plus raffinés mais tous aussi alcoolisés pour les femmes, Asahi nota tout ça et alla chercher les boissons. Son travail après tout était de servir ce que les clients demandaient. S’il commençait à refuser des boissons à cause de l’état desdits clients, la boîte de nuit ne pourrait pas tourner. Il rallia donc le bar, dont le responsable se dépêcha de remplir le plateau.

Si le premier aller-retour avait été relativement facile, le chemin vers la table du groupe d’adultes fut beaucoup plus difficile et périlleux. On arrivait à une heure où les danseurs commençaient à se fatiguer et sortaient un peu de la piste de dance, pas très sobres. Néanmoins, Asahi réussit plus ou moins habilement à passer à travers la foule et à rallier la table qu’il devait servir. En arrivant près de la table en question, Asahi croisa plusieurs filles qui insultaient l’un de ceux qu’il devait servir. Le jeune homme les connaissait bien, ou plutôt, ce n’était pas la première fois qu’il les voyait. En fait, elles venaient quasiment tous les soirs, dansaient presque tout le temps et des fois se collaient à quelques clients soûls pour repartir bien vite après, avec quelques billets en main. Ça aussi, ça ne faisait pas partit de son travail, alors il ne pouvait rien faire. De toute façon, il n’en n’avait pas la carrure : il était trop fin et maigre, après tout il ne pesait que cinquante-cinq kilos pour un mètre soixante-dix.

Lorsqu’il arriva vers le client, ce dernier était le seul encore assis. Il en conclut que ses compagnons étaient partis sur la piste de danse avec l’intention peut-être de draguer quelques personnes. Il posa donc les différents verres au centre de la table et sourit au seul client qui était resté assis. Ce dernier lui fut d’ailleurs rendu. Asahi n’avait pas vu ça souvent chez ses clients, en tous cas, ces derniers préféraient sourires à d’autres filles qu’à la serveuse qu’ils ne pourraient pas avoir dans cette boite de nuit et donc seulement pour une nuit. Il en fut donc d’autant plus heureux et souriant. Comme qui dirait « ça rend heureux de rendre heureux, ça fait sourire de faire sourire. »

L’homme en face de lui, lui fit signe de lui servir un verre, Asahi s’empara donc d’une des cannettes de bières et une petite chope pour en verser déjà la moitié. La musique repartait de plus belle, invitant tous ceux capables encore de tenir sur leurs jambes et retourner sur la piste de danse, se coller à des inconnus, pour danser l’un des hits du mois. Le jeune homme jeta un rapide coup d’œil derrière lui pour voir que la nouvelle chanson donnait envie de bouger, même aux plus endormis, il y avait même quelques fous qui se ruaient vers la piste comme si leurs vies en dépendaient. Après quoi il donnait son verre au jeune homme, qui d’ailleurs ressemblait beaucoup avec l’un des professeurs qu’il avait déjà vu parler, brièvement cela va sans dire, avec monsieur Kichigai, son professeur de mathématique. Il n’était plus sûr, mais il s’agissait apparemment d’un professeur de latin si sa mémoire était bonne. En tous cas, il était dans les langues, ça il en était sûr, après dire laquelle… C’est là que ses neurones se faisaient défaillants, surtout avec l’alternance des lumières vives qui lui faisaient tourner un peu la tête.

Il ne devait pas être le seul à ne pas être parfaitement dans son état, car le supposé professeur de latin desserra sa prise sur le verre où se trouvait sa boisson et cette dernière justement se retrouva à colorer la chemise qu’il portait. Asahi resta un moment, figé, le moment que l’information face à son chemin. Ce fut le soupire que poussa l’homme qui débloqua les neurones récalcitrants. Le jeune homme vit le client retirer sa chemise qui avait pris une légèrement couleur jaune-brune, guère appétissante.

« Est-ce que je pourrais avoir un haut de rechange, s’il te plaît ? » « Bien, j’y vais de ce pas. Et… » Asahi s’empara de la chemise souillée. « Je vais commencer la première phase nécessaire à réparer les dégâts. »

Il appela également l’une de ses collègues, pas très loin, une jolie et grande blonde aux formes à faire tomber par terre, tout son contraire en somme, répondant au prénom de Misaki, pour lui demander d’apporter à l’homme une bouteille de vodka et une nouvelle canette de bière, lui expliquant sommairement le petit accident.

Laissant donc le client aux bons soins de Misaki, Asahi partit voir le barman pour lui demander s’il y avait des vêtements en plus pour les clients au cas où. Le spécialiste du mixage lui indiqua un carton où plusieurs vêtements étaient rangés. Le serveur prit l’un deux à la même taille que la chemise salie et partit aux toilettes pour nettoyer la tâche d’alcool. Heureusement, il avait fait vite et avec un passage en machine avec un produit spécial, la chemise pourrait être remise. En revenant dans l’endroit bruyant et fortement éclairé, Asahi s’empara d’un sachet carton écologique utilisé normalement pour le nettoyage après, mais encore vide, pour y mettre la chemise à moitié lavée. Il retrouva ensuite le client avec l’intention de lui rendre sa chemise et de lui donner la chemise bleu-violette qui se trouvait dans le carton.

Au même instant, une petite dispute éclata sur la piste de dance, une fille apostrophait violemment un garçon qu’elle avait trouvé trop collée à elle. Rien de bien grave en somme, l’un deux ou même les deux allaient être sortit de la boite de nuit et tout irait pour le mieux. Mais voilà, entre temps, la fille avait repoussée le garçon et ce dernier c’était cogné à Asahi, qui avait perdu son équilibre, plutôt précaire sur ses chaussures à petits talons qu’il n’avait pas l’habitude de porter, et se réceptionna de justesse sur quelqu’un. Bien sûr, vous vous en doutez, il s’était réceptionner sur les jambes du client qui s’était aspergé intentionnellement quelques minutes plus tôt, les mains sur les jambes de ce dernier, à genoux devant lui. Il releva la tête et croisa le regard noir et profond du professeur. Asahi ne put que lui faire un pauvre sourire, mi-gêné, mi-désolé et se redressa rapidement. Du coin de l’œil, il aperçut la bouteille de vodka en partie vidée et la bière qu’il avait demandé à Misaki de lui apporter, mais celle-ci n’était pas dans les parages, elle qui, d’habitude, n’arrivait pas à quitter ses clients à cause de son allure divine, enfin, c’était les clients qui ne voulait pas la quitter plus exactement. N’en tenant pas compte, Asahi tendit tout d’abord la chemise quasiment propre à son propriétaire, puis la chemise d’occasion qui n’était pas non plus celle d’un SDF :

« Voilà votre chemise, je pense que ça devrait aller pour la tâche, elle partira facilement à la machine. Et votre haut de rechange. Ce n’est pas la grande classe, mais elle n’est pas mal non plus. » Déclara-t-il avec son grand sourire.

Après un dernier sourire incurvant ses lèvres vers le haut, Asahi se retourna avec l’intention d’aller voir d’autres clients, qui auraient peut-être besoin de nouveaux cocktails ou boissons.